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« On m’a tué à l’âge de 7 ans » nous déclare Philippe Auzenet, 73 ans cette année.
J’ai débuté ma scolarité en classe de 11ᵉ, en 1958, en l’École Jean-Baptiste de la Salle, 84 rue St-Gervais à Rouen. Frère Jean était mon instituteur. J’avais six ans, mon père était le directeur du magasin de vêtements « La Grande Fabrique » 31, place de la Cathédrale.
Il n’y avait AUCUNE surveillance des pions, qui passaient leur temps à bavarder loin des élèves, de l’autre côté de la cour, et à fumer leur clope.
Dans mon école, nous allions « en récré » plusieurs fois par jour. Il n’y avait AUCUNE surveillance des pions, qui passaient leur temps à bavarder loin des élèves, de l’autre côté de la cour, et à fumer leur clope.
Deux grands appartenant à des classes supérieures, et que je ne connaissais pas, avaient jeté leur dévolu sur moi, car j’étais timide, hypersensible, très empathe, et incapable de me défendre.
Dans un recoin caché du préau, du côté des toilettes, ils se jetaient violemment sur moi, me ficelaient comme un saucisson, me pendaient par les pieds, et sortaient des couteaux de boucher. Ils me menaçaient, en se moquant de moi. Ils faisaient semblant de m’arracher les yeux avec leurs couteaux, tout en riant à gorge déployée. Ils avaient pris soin de mettre un bol sous ma tête, au sol, qui aurait eu pour but de recueillir mon sang. Chaque séance durait 5 minutes et d’autres élèves surveillaient que personne ne bronche. J’ai subi cela une vingtaine de fois en tout sur deux années, vivant dans la peur chaque jour.
« Si tu parles à qui que ce soit de ce qu’on te fait, et même plus tard, on te retrouvera, et on te tuera pour de bon ».
Ma vie s’est arrêtée là, ils m’ont tué intérieurement. De retour en classe, je faisais mes besoins dans ma culotte, j’avais mal au ventre, je sentais des coups de couteau dans mon ventre durant des heures, j’étais terrorisé et avais des envies de suicide.
Quand on sait que si l’on parle, le verdict sera une mise à mort définitive, l’on se tait pour la vie.
Quelqu’un pourrait me dire ici : « mais pourquoi tu n’as pas parlé à des adultes ? ». Quand on est menacé de mort comme cela, et qu’on s’aperçoit que les « pions » (= surveillants) fument leur clope tranquillement, en discutant en groupe, au lieu de surveiller la cour, l’on se dit qu’on ne sera pas cru, et qu’il y aura des actes plus graves de vengeance. L’on en vient à détester toute autorité. Autorité = trahison, menace de mort, haine.
Ma mère, dans notre maison de campagne, tuait des lapins, comme cela se pratiquait à l’époque, on assommait le lapin en le frappant très fort contre un arbre, on le ligotait, on le pendait par les pattes contre un clou, on mettait un bol sous sa tête, on lui arrachait un oeil et le sang coulait, le lapin mourait lentement en se vidant de son sang. J’étais souvent spectateur de ces scènes, et j’étais épouvanté, j’étais un hypersensible.
Une école catholique tenue par des « frères » catholiques : drôle de foi chrétienne
Et voilà que dans mon école catholique tenue par des « frères catholiques », l’on m’infligeait le même sort. Je ne sais pas si vous réalisez ce qu’il se passe dans les pensées d’un enfant de sept ans qui ne peut parler à personne de ce qu’il subit :
- « je suis digne d’être tué, je suis une erreur de la nature, je suis moche et suis un imbécile, je n’aurais pas dû exister »
- « mon destin, c’est la mort, je n’aurai pas d’avenir, alors autant en finir vite »
- « si c’est comme ça que Dieu me traite, Il m’a condamné à mort, alors je n’aime pas Dieu »
- « je ne sais pas me défendre, je suis un lâche »
- « je fais sans cesse dans ma culotte et ma mère me traite de « gorêt »
- « mon frère Dominique me déteste, il ne s’est jamais occupé de moi, c’est cela la préparation pour devenir prêtre ? »
Si l’on rajoute à cela le fait que vous savez que votre propre frère (Dominique Auzenet, destiné à devenir prêtre catholique) est lui aussi dans la cour, ne passe jamais vous voir, vous dédaigne du regard, et voudrait vraiment avoir été fils unique, alors vous avez doublement envie d’en finir.
- « je suis en trop dans ma fratrie ! » « je n’ai jamais été désiré ! »
- « mais pourquoi mon frère qui est chrétien, m’ignore et me déteste, est-ce lui qui envoie ces deux grands me bastonner ? (questionné par moi en 2020, dans le diocèse du Mans, il refusera de me donner une réponse, et me dira en se moquant « il ne faut jamais revenir en arrière » « tu n’es qu’un hypersensible, et les hypersensibles, ça ne devrait même pas exister ». Prêtre abuseur, le Père Dominique ? J’ai écrit à son évêque Yves Le Saux, en 2020, pour dénoncer mon frère et évoquer les faits graves : aucune réponse. L’Eglise catholique est décidément très lâche. L’un des jeunes dont je me suis occupé en 2010 me raconta que son prêtre catholique, après le catéchisme, demandait à chaque enfant de passer dans son bureau, de baisser son pantalon pour être tout nu et mieux réciter le « Je vous salue Marie ». Qu’est devenu ce jeune ? Il est devenu homosexuel et il est mort du sida.
Philippe de Dieuleveult, animateur de l’émission « La chasse aux trésors » sur Antenne 2, était dans ma classe. François Hollande, qui deviendra président, était aussi élève de cette école à la même période.
La suite : ma vie s’est arrêtée. Mauvais résultats scolaires. Paranoïa. J’écoute de la musique violente en faisant hurler mes hauts-parleurs, Cauchemars où des ennemis veulent me tuer, durant dix années, je me réveille en sueur et dans l’épouvante. Je fais pipi au lit jusqu’à l’âge de douze ans (énurésie). Je deviens peureux à l’extrême, agressif et parfois très violent quand on m’attaque, j’ai peur de tout, en EPS mon corps se bloque soudainement comme un bloc de ciment et je ne peux faire de mouvements (je serai alors traité de « patate » par toute la classe, encouragé par les insultes de tous mes profs successifs d’EPS jusqu’à l’âge de 16 ans). Je deviens également dyssynchronique. En colonie de vacances chrétienne (Notre-Dame de Perseigne, près du Mans), je suis abusé sexuellement en tant qu’ado par un garçon plus âgé, sous les douches : là encore, défaut de surveillance. J’en ressors encore plus violent. Et rebelotte : durant une colonie chrétienne dirigée par le Père RENARD du diocèse du Mans, je suis maltraité et abusé sexuellement, j’ai 14 ans. Tout le dortoir sort ses organes génitaux et joue avec. Défaut de surveillance.
Pour ne pas être tué ou abusé à l’avenir, j’essaie de performer en tout, et de devenir « le meilleur, le caïd ». J’essaie de plaire et de dominer, de séduire. Et il est vrai que je plais, je suis (selon certains dires que j’ai du mal à accepter) beau et intelligent, souriant, plein de gentillesse. Je fais mes études à l’École Hôtelière de Paris. Je fais dépression sur dépression, sans rien dire à personne : je ne sais pas ce que c’est une dépression, et donc je crois que je suis en train de devenir fou, ma personnalité se dédouble, je sors de mon corps pour ne plus subir cette vie.
A l’âge de 40 ans, dans un centre d’accueil que j’ai fondé, et dont le but est de réhabiliter des toxicomanes, je fais des crises de violences insoutenables et reproduis ce qu’on m’a fait à l’école, en faisant un transfert sur trois des bénévoles. Mes nerfs lâchent, car je fais un burn-out. Au bout de deux années de mauvais comportements et une totale amnésie traumatique concernant mon passé à Rouen, je pleure, je m’écroule, je réalise le mal que je suis en train de faire, et je demande pardon à chacune de mes victimes, en leur disant à chacune : « tu as le droit de me tuer maintenant, et de me passer par les armes, tellement ce que j’ai fait sur toi est grave ». Il est prouvé que 40% des victimes de graves abus les reproduisent beaucoup plus tard, car c’est devenu une norme pour eux, ils l’ont intégrée.
À l’âge de 50 ans « je crache le morceau » et commence à parler. Je téléphone à un numéro vert…
Enfin un espoir ! je téléphone à un numéro vert qui écoute les élèves violentés. C’est nouveau. Réponse de mon interlocuteur : « Mr, on ne peut plus rien faire pour vous, votre affaire est trop ancienne ». Et rien d’autre. Mais rien ! Même pas le fait que j’aurais eu besoin d’une prise en charge urgente en psychothérapie ! Je deviens alors dégoûté de cette société, dégouté de cette école dite « catholique » qui m’a tué, dégoûté de l’État qui n’a rien à me dire.
Heureusement, une longue prise en charge thérapeutique a pu se faire durant quatre années, de 2020 à 2024, et j’en suis ressorti totalement libre, à l’âge de 72 ans. C’est la première fois aujourd’hui que je dis tout publiquement. Mais quel parcours douloureux, sous l’égide de l’école chrétienne St-Jean-Baptiste de la Salle, le saint patron des enseignants, et qui a fait de moi un révolté durant 60 années.
Je ne remercie pas cette école… elle a saccagé ma vie, et m’a tué à l’âge de sept ans, mon frère prêtre également, par ses silences et son dédain.
Je souhaite que toutes les affaires pédo-criminelles, toutes les affaires d’abus sexuels et de viols, de violences et menaces verbales et physiques, de bizutages dans les écoles chrétiennes ou non, soient prises en compte et écoutées, punies comme il se doit. Je n’en veux plus à personne, j’ai pu retrouver la paix intérieure après 68 ans de calvaire, mais je tremble encore, lorsque je sais qu’il y a encore, en France, un million d’élèves qui sont victimes de violences scolaires graves, et donc 3 à 4 millions d’élèves agresseurs. J’invite les surveillants, les personnels d’éducation, à être plus attentifs à ces drames, à fuir le déni, et à prendre des mesures exemplaires : nos écoles forment des milliers de jeunes qui deviendront des agresseurs à leur tour, après avoir été violentés.
Pasteur Philippe Auzenet – Monts du Lyonnais
@PhilippeAUZENET (chaîne YouTube) / philippe-auzenet.com (site internet avec possibilité de communiquer avec Philippe Auzenet) / philippe.auzenet@laposte.net
A lire aussi : « »C’était d’une violence extrême, c’était l’enfer » : des victimes racontent les violences physiques et sexuelles subies à Notre-Dame de Bétharram » (France-Info) – https://www.francetvinfo.fr/societe/education/affaire-de-violences-sexuelles-a-notre-dame-de-betharram/temoignages-c-etait-d-une-violence-extreme-c-etait-l-enfer-des-victimes-racontent-les-violences-physiques-et-sexuelles-subies-a-notre-dame-de-betharram_7084737.html
A consulter : le site de l’école St Jean Baptiste de la Salle, à Rouen – https://lasallerouen.fr/ –
« Jean-Baptiste de la Salle est un établissement catholique d’enseignement sous tutelle Lasallienne. Notre action éducative s’inspire des valeurs humanistes, des valeurs de l’Évangile et de l’esprit de Saint-Jean-Baptiste de la Salle par le projet éducatif Lasallien. Tous les membres de la communauté éducative (élèves, professeurs, parents, personnels) sont des partenaires de l’action pédagogique et éducative pour la réussite de ce projet. Le travail en équipe est donc une nécessité absolue. Il revient à chacun de nous de tout mettre en œuvre pour faire grandir chaque jeune dans sa dimension humaine et spirituelle afin qu’il devienne un homme ou une femme libre et responsable de sa vie. »
NDLR : dont acte.
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Ci-dessus et dans l’ordre : photos de classe en 1958, 1959, 1960.
École Jean-Baptiste de la Salle, 84 rue St-Gervais – 76000 ROUEN
Sur la première photo, le frère Jean, instituteur en classe de 11ᵉ. Sur cette 1ʳᵉ photo prise en 1958, je suis le petit garçon au 2ᵉ rang, et le 2ᵉ à partir de la droite.